Francitan

Le francitan est un état de langue, entre français et occitan, utilisé dans les régions où ce dernier est la langue traditionnelle et à une époque où il est progressivement remplacé par le français. Il s'agit d'une forme d'hybridation linguistique issue de la situation diglossique de l'Occitanie du XVIIIe siècle jusqu'à la première moitié du XXe siècle, entre l'occitan encore couramment parlé et perçu comme une langue populaire et le français, langue de l'élite et de l'administration.

Ne doit pas être confondu avec Français méridional ou Francoprovençal.

Pour certains linguistes, le francitan ne se distingue pas du français méridional (ou français d'oc) en tant que variété régionale du français parlée en Occitanie.

Caractéristiques et définition

Pour le linguiste Robert Lafont, la notion de francitan (mot-valise composé de « français » et « occitan ») a été introduite afin de désigner l'hybridation linguistique qui caractérise le conflit issu de la diglossie entre occitan et français dans les régions où l'occitan est la langue traditionnelle[1]. Il s'agit d'« un parler de contact et de mixité » issu de la rencontre dans les villes entre une langue dominante (le français) et une langue dominée (l'occitan)[2],[3].

Jean Mazel caractérise le francitan par « les variantes morpho-syntaxiques ou lexicales » qu'il distingue alors du français d'oc caractérisé lui par « les variantes phonétiques » tout en reconnaissant que « généralement le francitan est produit avec « l'accent du Midi », c'est-à-dire le français d'oc »[2]. Selon Yves Couderc, le francitan est ainsi la structure de l'occitan qui transparait au sein du français[4]. Toutefois, toujours selon Yves Couderc, « Le francitan n'est pas une variante régionale du français. Il n'est pas un dialecte du français. Il n'est pas un « niveau » du français »[5],[4]. Pour Jean-Marie Auzias, il s'agit même d'« un créole, comme la langue antillaise ! »[4]. À l'inverse, certains linguistes comme Katarzyna Wójtowicz considèrent le francitan comme un substrat linguistique confondu avec le parler du Midi[6].

Usage et sociologie

L'usage du francitan correspond à la période de substitution linguistique que connaissent les régions occitanophones du XVIIIe siècle jusqu'à la première moitié du XXe siècle, lorsque le français supplante progressivement l'occitan. L'occitan est alors toujours d'usage mais le français est la langue dominante et l'utilisation de tournures ou d'un lexique occitans est perçu comme des « fautes ». Plusieurs ouvrages sont alors publiés sur la question, tels que Nouveaux Gasconismes corrigés, ou tableau des principales expressions et constructions vicieuses usitées dans la partie méridionale de la France en 1802, le Dictionnaire des expressions vicieuses et des fautes de prononciation les plus communes dans les Hautes et les Basses-Alpes, accompagnées de leurs corrections en 1810 ou le Manuel du Provençal ou les provençalismes corrigés à l’usage des habitans des départemens des Bouches-du-Rhône, du Var, des Basses-Alpes, de Vaucluse et du Gard en 1829[6],[7].

À la fin du XIXe siècle, l'Occitanie est dans une situation de diglossie dans laquelle l'occitan est la langue populaire et le français est perçu comme plus prestigieux[3]. Jean Jaurès constate cette situation diglossique quand il écrit en 1909 « Dans les réunions populaires, les paysans et les ouvriers n'aiment pas qu'on ne leur parle que patois […] car on paraît supposer qu'ils n'entendraient pas le français[2]. » Alphonse Daudet parle ainsi du personnage de la Tante Portal qui « ne voulait pas que son cocher parlât provençal » et tentait de franciser les mots provençaux qu'elle utilisait[8]. Cette attitude est elle-même moquée par certains occitanistes, qui y voient le « franciot », le « franchimand », le francitan parlé pouvant être qualifié de « véritable monstre »[1].

Un topos littéraire et théâtral

Le francitan est utilisé dans le théâtre et la satire comme ressort comique associé à des personnages généralement revêtus de l'ethnotype méridional : Gascons fanfarons et bravaches, Provençaux bavards et superficiels, etc. Ce topos littéraire est attesté aussi bien dans le domaine littéraire d'oc que français. Déjà visible dans certains textes de Pèire Godolin, le francitan littéraire est présent dans les Jeux de l'Inconnu d'Adrien de Monluc (1630), forme l'argument principal de la pièce Ramounet de l'auteur de théâtre agenais François de Cortète de Prades (1586-1667) et se rencontre dans un certain nombre de pièces de théâtre françaises de la fin du XVIIe et du début du XVIIIe siècle. Le poète et amuseur bordelais Meste Verdié (1779-1820) en reprendra les codes pour ses farces gasconnes, qui font alterner occitan bordelais et francitan, lui conférant ainsi une de ses marques de fabrique. Par la suite, l'imitation qui sera faite de Verdié, de façon outrancière, fera du francitan un des topoï les plus récurrents de la littérature populaire occitane, en particulier à Bordeaux, jusqu'à se vider complètement de son sens par effet de répétition.

Notes et références

  1. Rousselot 1991, p. 94
  2. Gardy et Lafont 1981, p. 82
  3. Rousselot 1991, p. 88
  4. Wójtowicz 2008, p. 55
  5. Rousselot 1991, p. 95
  6. Wójtowicz 2008, p. 56
  7. René Merle, « Du triple langage”, (occitan, francitan, français...) », sur Écriture de l'occitan et du provençal,
  8. Rousselot 1991, p. 92

Bibliographie

  • Henri Boyer, Clés sociolinguistiques pour le francitan, Montpellier, CRDP, , 136 p. (ISBN 2-86626-895-4)
  • Henri Boyer, Langues en conflit : Études sociolinguistiques, Paris, L'Harmattan, coll. « Logiques sociales », , 274 p. (ISBN 2-7384-1084-7, lire en ligne), p. 144-201
  • (oc) Yves Couderc, « Francitan », Occitània passat e present, vol. 3, , p. 24-27
  • Yves Couderc, « À propos du francitan », Cahiers du groupe de recherche sur la diglossie franco-occitane, vol. 3, , p. 1-17
  • Philippe Gardy et Robert Lafont, « La diglossie comme conflit : l'exemple occitan », Langages, vol. 15, no 61, , p. 75-91 (lire en ligne)
  • G. Kremnitz, De l’occitan au français (par le francitan). Étapes d’une substitution linguistique, Madrid, Logos Semantikos, , p. 183-195
  • Robert Lafont, « Pour retrousser la diglossie », dans Quarante ans de sociolinguistique à la périphérie, Paris, L’Harmattan,
  • Guy Langlois, Lexique du francitan parlé à Sète, Sète, Médiathèque de Sète, , 86 p. (ISBN 2-909445-01-1)
  • Gilbert Lhubac, Dictionnaire francitan ou Le parlé du Bas-Languedoc, Castries, Éditions du Mistral, , 101 p. (ISBN 2-84647-023-5)
  • Jean Mazel, « Francitan et français d'oc. Problèmes de terminologie », Lengas, vol. 7, , p. 133-141
  • Pierre Mazodier, Paroles d'ici : lexique du francitan - ou français parlé : de la région alésienne, Montpellier, Espace sud Ed, , 210 p. (ISBN 2-906334-52-9)
  • Philippe Rousselot, « Le complexe de Tante Portal ou l'imaginaire dans l'évolution des langues », Langage et société, no 58, , p. 85-100 (lire en ligne)
  • Jean Séguy (linguiste), Le français parlé à Toulouse, Cressé, Cressé, Éditions des régionalismes, 2015 (première édition en 1950), 138 p. (ISBN 978-2-8240-0505-8)
  • Katarzyna Wójtowicz, « Les influences de l'occitan sur la langue française », Romanica Cracoviensia, no 08, (lire en ligne)

Articles connexes

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