Grande Famine en Irlande

La Grande Famine (en irlandais An Gorta Mór ou An Drochshaol, en anglais the Blight, The Irish Potato Famine ou The Great Famine) est une famine majeure en Irlande entre 1845 et 1852. Cette catastrophe fut en grande partie le résultat de cinquante années d'interactions désastreuses entre la politique économique impériale britannique, des méthodes agricoles inappropriées et l'apparition du mildiou sur l'île. À l'époque, le mildiou anéantit presque intégralement les cultures locales de pommes de terre, qui constituaient la nourriture de base de l'immense majorité de la population, les paysans irlandais.

Grande famine en Irlande

Skibbereen en 1847 par l'artiste originaire de Cork James Mahony (1810–1879), publié par The Illustrated London News, en 1847

Pays  Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande
Période 1845 - 1852
Victimes 1 million
Conséquences Changement permanent de la démographie, de la politique, et de la culture du pays.
Représentation de Bridget O'Donnel avec ses deux enfants, qui subirent la Grande famine irlandaise. Image publiée dans l'Illustrated London News le 22 décembre 1849.

Contexte

La révolte des catholiques irlandais en 1649 contre Oliver Cromwell entraîna une répression brutale et la mise en place des Lois pénales destinées à les discriminer. Parmi cette série de mesures, la Loi d'héritage de 1703 (Irlande) (en) instituait que les terres des catholiques, au lieu d'être transmises au fils aîné, devaient être divisées entre tous les fils d'une même famille, ce qui entraîna une baisse importante de la taille des exploitations agricoles et une vulnérabilité croissante de leurs exploitants. Pour subsister, les Irlandais pratiquèrent surtout la culture de la pomme de terre – tubercule nourrissant et ne nécessitant que peu d'espace pour être cultivé. Par ailleurs, beaucoup de paysans n'étaient pas propriétaires de leur terre et devaient payer un loyer à un landlord protestant et britannique. Au début du XIXe siècle, la relative prospérité des campagnes avec un climat clément permettait à une parcelle de nourrir une famille correctement et la population qui en 1801 se situait entre 4 et 5 millions d’habitants passa à 9 millions quarante ans plus tard. Dès lors, les parcelles se révélèrent trop petites pour nourrir une famille.

Une catastrophe de grande ampleur

Production de pommes de terre pendant la Grande Famine[1].

La venue d'Europe continentale du mildiou, un oomycète parasite appelé Phytophthora infestans, alliée à l'humidité du climat, provoqua une forte chute, de l'ordre de 40 %[2], de la production de pomme de terre en 1845 et entraîna une famine de grande ampleur. Le phénomène est suivi de près dans les milieux agricoles, jusqu'aux États-Unis, où en , le journal American Farmer s'intéresse à la maladie de la pomme de terre et à son évolution, en évoquant la possibilité qu'elle soit encore d'ampleur relative[3].

Contrairement à ce qui s'était passé pendant la famine de 1780, les ports irlandais restèrent ouverts sous la pression des négociants protestants et l'Irlande continua à exporter de la nourriture. Alors que dans des régions de l'île des familles entières mouraient de faim, des convois de nourriture appartenant aux landlords, escortés par l'armée, partaient vers l'Angleterre. Certains propriétaires expulsèrent même leurs paysans, y compris s'ils étaient en mesure de payer leur loyer comme lors de l'incident de Ballinglass. Malgré tout, en 1845, la pénurie ne fut pas de plus grande ampleur que d'autres crises régionales précédentes qui ne sont pas restées dans les mémoires. Ce n'est que l'anéantissement de la récolte de pomme de terre au cours de trois des quatre années qui suivirent qui entraîna la famine et les épidémies auxquelles les institutions de secours, qu'elles soient gouvernementales ou privées, s'avérèrent incapables de faire face[2].

Plusieurs initiatives de charité furent prises. Dès 1841 le Pape exhorta les archevêques à lever des fonds à travers l'Europe et l'Amérique. Ce mouvement de solidarité catholique se traduisit par un grand nombre de dons dont le montant total restera difficile à chiffrer. L'archevêque de Dublin, Paul Cullen, établit une estimation à 14 000 £ voire 15 000 £ . En 1845, par exemple, le sultan ottoman Abdülmecit Ier déclara son intention d'envoyer 10 000 £ pour les paysans irlandais, mais la reine Victoria demanda que le sultan n'envoie que 1 000 £, car elle-même avait donné seulement 2 000 £. Le sultan envoya donc 1 000 £ et trois navires remplis de nourriture, que les soldats britanniques tentèrent de bloquer.

Conséquences

Évolution des populations irlandaise et européenne de la Grande Famine à nos jours.

S'il n'existe pas de décompte officiel du nombre de décès entre 1846 et 1851, diverses estimations récentes évaluent à un million le nombre total de victimes, particulièrement dans les comtés les plus pauvres[2]. La Grande Famine eut d'ailleurs des conséquences importantes en matière foncière, en accentuant le phénomène de concentration des terres et d'augmentation de la taille moyenne des exploitations souhaité par les landlords : entre 1841 et 1851, la part des tenures de moins de cinq acres passa de 35 à 20 %, quand celle des tenures de quinze acres et plus augmenta de 31 à 48 % des terres agricoles irlandaises[2].

Caricature politique: « En quarante ans, j'ai perdu, non par l'opération de la loi naturelle, plus de trois millions de mes fils et filles, et eux, les jeunes et les forts, laissant derrière eux les vieux et les infirmes à pleurer et mourir. Où ceci va-t-il finir ? »
Rowan Gillepsie (en) (sculpteur) : Mémorial élevé à Dublin pour rappeler la Grande Famine et l'émigration qui s'ensuivit.

La famine perdura jusqu'en 1851, mais eut des répercussions pendant encore plus longtemps, en particulier sur la démographie de l'Irlande. Aux morts de la famine, il faut en effet ajouter près de deux millions de réfugiés, et autant d'émigrants, essentiellement à destination des États-Unis, de la Grande-Bretagne, du Canada et de l'Australie[4]. Si les émigrants venaient de toutes les régions d'Irlande, ils étaient plus nombreux à venir des comtés et des classes sociales pauvres. L'émigration irlandaise de l'époque se caractérisait en outre par la plus grande part de femmes à s'exiler, contrairement à ce que l'on pouvait constater généralement dans les autres pays[4]. En tout, la population irlandaise baissa de près d'un quart en dix ans, passant de huit à environ six millions de personnes. L'émigration devint dès lors un phénomène structurel[4] : elle se poursuivit jusqu'en 1911, date à laquelle la population irlandaise tomba à 4,4 millions de personnes, soit son niveau de 1800.

Sur le plan culturel, la famine fut aussi l'un des facteurs du déclin de la langue gaélique (ou irlandais)[5], langue parlée par plus de 90 % des Irlandais avant 1845, dont la vitalité était le principal signe de résistance du peuple irlandais et que les Britanniques ne parvenaient pas à éradiquer, à moins de 20 % de la population en 1860. Un grand nombre des orphelins de la famine reçurent dans les orphelinats la langue anglaise en héritage. La langue gaélique ne se remit jamais de la grande famine de 1845-1851 et, aujourd'hui, seuls 2 % des Irlandais parlent la langue de leurs ancêtres dans la vie courante. Pour les émigrants, la langue fut majoritairement abandonnée avec le temps et les générations.

Les Irlandais accusèrent le Royaume-Uni de les avoir volontairement abandonnés, puisque Westminster était partisan de la théorie du 'Laisser faire'; l'État ne devant pas se substituer au marché[6]... En revanche l'armée britannique possédait les plus grandes réserves alimentaires d'Europe, qu'elle refusa de partager. Cette catastrophe est à l'origine d'un renouveau du nationalisme irlandais, se traduisant notamment par la naissance du mouvement Young Ireland. John Mitchel, l'un des leaders du mouvement, a écrit en 1860 : « Le Tout-Puissant, en effet, a envoyé le mildiou, mais les Anglais ont créé la famine ».

Dans la littérature

La Grande Famine dans la littérature :

  • Trinité, 3 tomes (la Jeunesse de Conor, Caroline, Shelley), Leon URIS
  • Famine, Roman de Liam O'Flaherty publié en 1937. Traduction en français par C.D. Jonquières publiée en 1983 par Jean Picollec Éditeur. (ISBN 2253031895)
  • L'adieu au Connemara, Roman d'Hervé Jaouen. Presses de la Cité, 2003 - Pocket no 12069, 2005.
  • Pendant la famine, en Irlande : journal de Phyllis McCormack, 1845-1847 / Carol Drinkwater.- Gallimard jeunesse (Mon histoire), 2006. Trad. de l'anglais par Bee Formentelli
  • Chimères, roman de Nuala O'Faolain, publié en 2001, réédité chez 10/18 domaine étranger.

Dans la musique

  • The Fields of Athenry est une chanson irlandaise reprenant le thème de la Grande Famine.
  • "Fools Gold", une chanson du groupe irlandais Thin Lizzy figurant sur l'album Johnny the Fox (1976) a été inspirée par la Grande Famine. Les paroles évoquent des Irlandais voyageant en Amérique pour échapper à la famine et commencer une nouvelle vie[7].
  • Thousands are Sailing, du groupe anglais The Pogues, fait référence à l'émigration des irlandais durant la Grande Famine.
  • Le nom du groupe Black 47, fondé en 1989, fait référence à la Grande Famine.
  • The Coffin Ship est une musique créée par le groupe irlandais de black metal Primordial, en mémoire de la famine de 1845.
  • Famine Remembrance est une œuvre orchestrale et chorale du compositeur irlandais Patrick Cassidy, créée en 1996, pour le 150e anniversaire de la Grande Famine.
  • Song for John du groupe français Doolin' raconte la migration irlandaise pendant La Grande Famine.

Dans le cinéma/Télévision

Annexes

Bibliographie

Articles connexes

Liens externes

Notes et références

  1. [PDF](en) P. M. Austin Bourke, « The Extent of the Potato Crop in Ireland at the time of the Famine », Dublin: Journal of the Statistical and Social Inquiry Society of Ireland, Dublin, Ireland, Statistical and Social Inquiry Society of Ireland, vol. XX, Part III, , p. 1–35 (ISSN 0081-4776, lire en ligne)
  2. Sean Duffy (dir), Atlas historique de l’Irlande, éditions Autrement, 2002, p. 92
  3. American Farmer, édition reliée des numéros de 1845
  4. Sean Duffy (dir), Atlas historique de l'Irlande, éditions Autrement, 2002, p. 102
  5. « 'L'histoire de la langue irlandaise' », eu2013.ie (présidence irlandaise de l'Union européenne 2013) (consulté le 26 avril 2013).
  6. Richard Killeen: Une brève Histoire de l'Irlande. Gill & Macmillan Ltd, Dublin 12,1994-2011, p. 50, (ISBN 978 07171 3922 4)
  7. (en-US) « Fools Gold - Thin Lizzy », sur SongLyrics.com (consulté le 26 février 2020)
  8. (en) Asenath Nicholson, Annals of the famine in Ireland in 1847, in 1848 and 1849, E. French, (lire en ligne)
  • Portail de l’agriculture et l’agronomie
  • Portail de l’Irlande
  • Portail de la pomme de terre
  • Portail du XIXe siècle
  • Portail des risques majeurs
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Sharealike. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.